Toujours plus haut, toujours plus cher. C’est ainsi qu’au premier abord on pourrait définir le marché impressionniste et moderne, celui qui a un impact psychologique sur toutes les strates du négoce de l’art, au niveau mondial. La semaine dernière lors des ventes dites « de prestige » à New York, plusieurs records spectaculaires ont été enregistrés. C’est, en effet, à cette période de l’année en hiver puis une seconde fois au printemps que sont présentées par les maisons d’enchères, leaders mondiaux, les oeuvres disponibles les plus importantes de la fin du XIX e et du début du XX e siècle. Ces adjudications sont désormais courues sur toute la planète.
Ainsi, il semblerait que ce soit un amateur russe qui ait fait l’acquisition, le 2 novembre chez Sotheby’s, d’un nu de Modigliani pour 68,9 millions de dollars (50,3 millions d’euros), un record de prix pour l’artiste. Le lendemain, c’est très certainement un Américain, peut-être le propriétaire du groupe de publications Conde Nast, S. I. Newhouse, qui a acheté, pour 48,8 millions de dollars, une sculpture de Matisse, un autre record. Le même soir, Christie’s adjugeait aussi à un niveau jamais atteint une toile cubiste de Juan Gris datée de 1913 à un Européen, pour 28,6 millions de dollars.
Enfin, ce sont des Asiatiques – mais il ne s’agit pas de Japonais -qui se sont emparés durant la même session de deux Monet, selon le directeur du département chez Christie’s, Thomas Seydoux. « Je ne pensais pas que la demande serait aussi forte pour des oeuvres dans des styles aussi divers. Il y a de nouveaux acheteurs très engagés sur le marché, des Russes et des Asiatiques tandis que les acheteurs de longue date, les Américains et les Européens continuent à être actifs », ajoute-t-il.
Il est clair que la demande s’est élargie, tandis que l’offre de tableaux modernes est, par définition, de plus en plus rare. Cependant, le marchand privé très influent Franck Giraud, installé à New York, introduit des nuances face à ces résultats. « Si le pourcentage de lots vendus s’échelonne entre 75 et 80 %, un résultat très satisfaisant dans un contexte relativement difficile où les transactions privées sont ralenties, il faut souligner que seules les oeuvres qu’on peut qualifier « d’irremplaçables » n’ont jamais eu des cotes aussi élevées. C’est cette gamme de pièces, environ 5 ou 6 par saison, dont la cote augmente de manière exponentielle. Le reste de l’art impressionniste et moderne est désiré dans une moindre mesure alors que beaucoup de liquidités restent disponibles et que les gens ne savent plus ou investir. »
Revenons donc sur quelques exemples. A commencer par la star de la saison, un nu de Modigliani. En peinture, ce sujet est le plus prisé chez l’artiste. Depuis 1987, cette toile est passée trois fois aux enchères et, systématiquement, elle a atteint un prix record. Peut-être parce qu’elle exprime avec grâce une certaine pudeur. La demoiselle croise son bras sur son sein et un drap cache son sexe. Son visage posé sur un cou longiligne est penché comme pour faire partager son émotion. Présentée en 1987 à Drouot, elle part pour 41 millions de francs. 1999 : vendue à New York pour 16,7 millions de dollars. Onze ans plus tard, elle aura donc été revendue pour 52,2 millions de plus.
La sculpture de Matisse est un bronze monumental (182 cm de hauteur) conçu en 1930 mais fondu seulement en 1978. Il représente de manière massive un corps de dos montré quasiment comme une abstraction. Une ouverture sur les formes de l’art contemporain. L’artiste travaillait depuis 1909 sur le sujet et avait réalisé précédemment trois épreuves. A Paris, on peut voir les quatre exemplaires, qui appartiennent aux collections du Centre Pompidou. D’ailleurs, toutes les sculptures similaires sont dans des musées à l’exception d’une seule, qui appartient au collectionneur américain Ronald Lauder. C’est dire si le qualificatif « irremplaçable » lui convient.
L’expert de Sotheby’s Cyrille Cohen estime que, pour rencontrer le marché à des prix exceptionnels, les oeuvres doivent offrir des garanties en termes d’intérêt plastique et de nouveauté sur le marché. Alors que tout le monde conserve en mémoire l’adjudication exceptionnelle d’un « Homme qui marche » de Giacometti à 104,3 millions de dollars, ce 2 novembre un autre bronze de Giacometti « Homme à mi-corps », représentant un homme à genoux, n’a pas trouvé preneur au-dessus de 1,6 million d’euros. La pièce était estimée entre 2 et 3 millions d’euros et elle avait été fondue après la mort de l’artiste, qui prêtait un soin particulier à ses patines.
Même si le marché de l’art moderne donne l’impression de fonctionner de manière monolithique, il est tout en nuances comme les tableaux qu’il présente.